Le catch peut-il changer les mentalités ?

Le nouveau Daniel Bryan n'est pas un méchant catcheur comme les autres.

Le nouveau personnage incarné par Daniel Bryan, porté sur l’écologie et l’anti-capitalisme comme le catcheur lui-même, pose questions et inspire.

« Vous n’êtes que les complices d’une société d’hyper consommation qui détruit la planète et maltraite les animaux » répète actuellement Daniel Bryan sur le ring de WWE Smackdown Live! à qui veut bien l’entendre. Dans les bouches d’un autre catcheur parmi tant d’autres – comme CJ Parker (alias Juice Robinson) en son temps avec sa gimmick de hippie moderne à NXT – ces paroles n’auraient résonné nulle part ailleurs que dans les oreilles des critiques qui crieraient encore aux clichés et aux stéréotypes de la part d’une compagnie traditionnellement conservatrice, se moquant des idées progressistes et des personnes les incarnant.

Grâce à Daniel Bryan, ces paroles ont été pourtant citées dans une chronique matinale de France Info, lui des chaînes de radio d’information en continue les plus écoutées en France. Le site web de L’Équipe, le premier journal sportif du pays, lui a même consacré un portrait. Ces mots ne sont donc plus seulement considérés comme la pauvre inspiration d’un scénariste-esclave des directives de supérieurs aux opinions arriérées. Ils sont une idée capable d’interroger et d’inspirer.

Daniel Bryan, le Thanos de la WWE ?

Après un retour un peu négligé sur le ring de la part de la WWE, Daniel Bryan a repris des couleurs depuis son « heel-turn« , le soir où il s’est abaissé à tricher (en assénant un coup de pied dans les parties intimes de son adversaire) pour redevenir champion du monde de la WWE aux dépens du bien-aimé AJ Styles. Ses actions puis ses mots – sa manière de traiter ses fans de « fickle » (ou capricieux, inconstant en français) – ont d’abord réussi à faire changer l’avis du public à son égard, jusque là sincèrement chaleureux. Jusque là, rien de bien révolutionnaire ou d’inédit. Mais c’est sa façon de personnaliser son nouveau personnage par la suite qui change aujourd’hui la donne.

Daniel Bryan, avec l’attitude agressive qui caractérise classiquement un catcheur vindicatif, s’est mis à promouvoir ses propres idées végan mais surtout écologistes et anti-consuméristes. Et si l’on s’attendait à ce qui la joue à la CM Punk (qui n’a jamais cessé de réciter, avec un franc dédain : « je suis ‘straight edge’, je ne bois pas d’alcool, je ne fume pas et je ne prends pas de drogue, ce qui signifie que je suis meilleur que vous ») avec extrême arrogance, Daniel Bryan a joué la carte d’une hypocrisie de plus en plus nuancées. Si, au travers de son discours, il semble être convaincu connaître mieux que les autres (les dirigeants, les fans et ses collègues catcheurs) les problèmes et les solutions concernant la santé terrestre et les effets de la sur-consommation, il ne rejette pas uniquement la faute sur le public – qui serait alors enclin, même induit, à le détester. Dans une récente interview pour une chaîne locale américaine, rempli d’improvisation de qualité de la part de Daniel Bryan, ce dernier certifie que ce qui arrive aujourd’hui à la planète (pollution, manque de ressources, etc) est la faute du comportement de tous, lui y compris, et qu’il convient à la société entière d’essayer de la réparer.

La ceinture de champion du monde de catch de la WWE en bois et en chanvre.
Daniel Bryan a fait personnalisé sa ceinture de champion du monde de la WWE pour qu’elle soit écologique.

Ainsi argumentées, ses idées ne peuvent plus être honnêtement perçues par celles d’un « heel » classique, d’un antagoniste simplement détestable et amorale, mais comme d’un artiste sincèrement engagé par ses opinions. Et son engagement n’a rien d’hypocrite non plus : non seulement le catcheur Daniel Bryan est végan depuis plusieurs années pour des raisons idéologiques mais il est aussi capable de pousser, par le biais de son personnage et de ses actions, à promouvoir ses idées physiquement. En effet, il a récemment réussi à faire remplacer la ceinture de cuir et d’or de championnat du monde de la WWE (symbole du capitalisme issu en partie, matériellement, d’une certaine violence envers les animaux) par une ceinture de chanvre et de bois, 100% bio et écologique.

Catcheur : artiste engagé ?

S’il est capable de jouer les durs et les tricheurs sur le ring, par pur professionnalisme – comme une autre personnalité médiatique aux idées similaires, Leonardo DiCaprio, acceptant de manger de la viande crue pour le film The Revenant – il est capable de s’appuyer sur sa notoriété, profitant du peu de liberté créative à sa disposition, pour participer à la transmission d’un message idéologique pacifiste, en l’occurrence écologique – tel Leonardo DiCaprio avec le documentaire Avant le Déluge de National Geographic en 2016. L’avantage (et l’inconvénient aussi, parfois) du catcheur sur l’acteur ou tout autre artiste est que sa scène est le monde réel. La frontière entre personne réel et personnage fictif est bien souvent très fine. Quelques fois, comme dans bien des aspects du cas Daniel Bryan, elle n’existe pas.

Dans les années 1980, Hulk Hogan inspirait, sans sincérité, les enfants à « prier » et à bien « prendre leurs vitamines« . Dans les années 1990, la rivalité purement fictive opposant ‘Stone Cold’ Steve Austin à son véritable patron, Vince McMahon, inspirait les jeunes adultes et leurs aînés à ne pas hésiter à refuser la tyrannie de leurs propres employeurs. Aujourd’hui, Daniel Bryan inspire lui-même une nouvelle génération par son message profondément personnelle mais honnête, sincère et emprunt d’une importance réelle indéniable dans un monde où la panique des scientifiques et des écolos rebondit sur les murs, les shutdowns et les brexits des uns et des autres.

Contrairement à ses pairs, ‘The Planet Champion’ fait preuve d’une initiative artistique personnelle pour partager son engagement envers une cause politique et écologique au rayonnement bien plus large que celui de la WWE et du catch. Tel le peintre, contraint de faire le portrait d’un illustre personnage, ou le réalisateur, traité comme simple exécutant de la volonté de producteurs cupides, il réussit par la maîtrise de son art à se jouer de ses contraintes professionnelles pour donner un point de vue humain, d’auteur et d’artiste engagé sur la société et le monde qui l’entoure. Et ses paroles, une fois passées par le prisme de l’interprétation du spectateur, nous inspire à la repenser et à le changer. N’est-ce pas ça la marque de l’art ?

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