AEW : Quoi ? T’as pas la réf’ ?

Awesome Kong, Brandi Rhodes, Cody, Nyla Rose et Jungle Boy présentent l'AEW à la TNT.

La jeunesse de l’AEW n’est pas sans obstacle et sans erreur mais s’il en est une qu’elle doit régler avant ses débuts télévisés, c’est son usage excessif du méta.

La dictature de la référence et de la métalepse (le vrai nom de ce cher « méta ») inonde notre culture actuelle. De Ready Player One référençant un nombre incalculable de personnages de fiction aux extraits de séries TV en GIFs auxquels chacun fait appel pour répondre intelligemment à son interlocuteur sur Messenger ou Twitter, en passant par l’humour méta d’un Deadpool ou les mèmes viraux de 9Gag : tout ou presque nous oblige à connaître et comprendre la référence pour apprécier une remarque et participer, en quelque sorte, au débat culturel publique. Rien d’étonnant car nous vivons à l’ère où « Google est ton ami » et où, en un clic astucieux, n’importe qui peut alors tout savoir et posséder, enfin, la fameuse réf’ qui l’excluait jusque là du reste de ses contemporains.

Si ce phénomène rassemble autant qu’il divise, il n’agit a priori qu’à un niveau transculturel – à moins, dans certains cas, qu’il induise la création d’un élément culturel propre par sa viralité. Il ne peut donc se soustraire à la culture dont il tire inspiration pour exister. En effet, si chaque création est liée, de près ou de loin, consciemment ou non, à une autre, chacune doit pouvoir se suffire à elle-même pour rester pertinente culturellement. Si, par exemple, Gangsta Paradise de Coolio s’inspire initialement et ouvertement de Pastime Paradise de Stevie Wonder, ce titre avait néanmoins vocation à exister par lui-même et à transcender ce dont il tire son influence – à tel point qu’aujourd’hui, il peut prétendre être une référence en soi à qui ne connaîtrait pas l’œuvre de Stevie Wonder.

Le hic advient lorsque « avoir la référence » est le seul moyen d’apprécier, et de faire sienne, un élément culturel. Qui n’a jamais vu un « slasher » américain saura-t-il juger la valeur d’un Scream ou même d’un Scary Movie ? Qui n’a jamais entendu parler de Charles Manson et du meurtre de Sharon Tate relèvera-t-il l’irrévérence d’Once Upon A Time … In Hollywood ? La même question se pose avec la direction créative prise par l’All-Elite Wrestling.

Références et fan-service, les ennemis de la créativité ?

L'équipe de l'AEW prête à débarquer sur les ondes de TNT.
Sur le côté gauche, les têtes pensantes de l’AEW : en arrière-plan, Tony Khan, Matt et Nick Jackson et Kenny Omega puis en avant-plan, Brandi et Cody Rhodes.

Avant même l’avènement de la compagnie, ses têtes pensantes usaient déjà, à outrance, de la métalepse dans ce qui n’était à l’origine qu’un vlog hebdomadaire sans pression éditoriale. Accompagnés de leur humour cartoonesque, les frères Jackson avaient cependant fait l’effort, par la suite, de réfléchir et développer de véritables trames narratives. Afin de préparer au mieux leur show historique ALL IN, ils avaient notamment créé un arc narratif véritablement original avec la schizophrénie meurtrière d’Hangman Page. Désormais aux commandes d’une compagnie prête à proposer au monde sa véritable vision du catch, ils en sont venus à surfer énormément sur leur formule ultra-dépendante du méta ou, plus particulièrement, du fan-service (au sens non-érotique du terme … pour l’instant) qui pullulent dans notre mode actuel de consommation culturel.

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Plutôt que de créer et de raconter des histoires inédites, les Jackson, Cody, Kenny Omega et Tony Khan ont préféré jouer la carte de la référence jusqu’à plus soif. Soit, en vrac :

  • Le second événement de l’AEW, Fyter Fest, est nommé ainsi de manière alambiqué pour moquer le désastre de Fyre Fest.
  • Quant à Double Or Nothing ou ALL OUT, leurs noms sont bien sûr tirés d’ALL IN. Full Gear, quant à lui, le prochain Pay-Per-View de l’AEW fait écho à la campagne « Full Gear Challenge » lancée par Hangman Page il y a quelques mois. Deux exemples d’auto-référence !
  • A Double Or Nothing, Durant son entrée vers un affrontement tant-attendu contre son frère, Cody Rhodes a éclaté un trône de pierre avec un marteau – en référence à Triple H et son emprise créative, sans doute contraignante envers lui, à la WWE.
  • Lors de Fyter Fest, Shawn Spears – tout juste signé par Tony Khan – est venu violemment attaquer Cody, alors face à Darby Allin. La raison de son attaque réside dans une remarque passée inaperçue au cours d’une vidéo « Road To Fyter Fest ». Laquelle pouvait être en effet perçue comme désobligeante une fois mis au courant du passé inconnu partagé entre les deux hommes.
  • Si Leva Bates, l’une des deux absurdes « bibliothécaires », réussit à éviter l’élimination dans la récente Casino Battle Royale d’ALL OUT en marchant sur des livres posés au sol, c’est en référence parodique au New Day et à leurs pancakes au WWE Royal Rumble 2018.
  • Si Arn Anderson a été accueilli sous les hourras des spectateurs d’ALL OUT lors de son intervention surprise pendant Cody vs Shawn Spears, c’est en écho à son partenariat avec Tully Blanchard (manager de Spears) dans les années 1980.
  • Avant ce même match centré sur une haine viscérale entre les deux combattants, Cody et sa troupe sont arrivés dans des déguisements faisant référence à Star Trek. Pourquoi ? Parce que.
  • Dans Being The Elite, Luchasaurus ne cesse de répéter qu’il a un Master pour gagner un argument, simplement parce que l’homme derrière le masque en a effectivement un.

A force d’abuser de références pour tout et n’importe quoi, le message qu’ils envoient ainsi, peut-être inconsciemment, est le suivant : le vrai fan est celui qui détient la référence. Un message hautement toxique, surtout pour une compagnie qui a pour objectif de créer de nouveaux fans et d’être la première depuis 20 ans à atteindre un public plus « mainstream ». Personne n’aurait à posséder ou obtenir des pré-requis pour apprécier n’importe quelle œuvre d’art, quelle qu’elle soit – du Parrain à un épisode d’AEW sur TNT ! Plus encore, en ayant en tête que d’intéresser par la référence et le fan-service, l’équipe créative de l’AEW ne remplit pas son rôle : celui de créer pour raconter.

Même le meilleur moment narratif et émotionnel (improvisé par dessus le marché, certes avec brio) dans la jeune existence de l’AEW existe en référence à un autre. Lorsque Cody propose à son frère Dustin, vaincu, de former ensemble une équipe à Double Or Nothing, le tout est une copie presque parfaite d’une demande faite à ce dernier par leur père, Dusty, en 1994 ! Le tout est magnifiquement bien superposé dans cette critique vidéo :

 

En somme, à faire le bilan de toutes les propositions « créatives », il n’y en a qu’une seule qui semble véritablement non seulement originale et inédite mais auto-suffisante et exempt de méta : la double-dimension du personnage de Maxwell Jacob Friedman. En effet, MJF incarne un individu des plus détestables, mégalomaniaques et discriminants qu’il existe … sauf en présence de Cody, qu’il semble sincèrement vénérer, respecter et aider. A tel point qu’à la fin du match de ce dernier à ALL OUT, MJF l’a soutenu jusqu’au bout même lorsque tout portait, subtilement, à croire qu’il retournerait sa veste.

Faire le cirque n’est pas un art narratif

Lors de sa conférence « From Undesirable To Undeniable » à la convention Starrcast III, animée par le commentateur vétéran Tony Schiavone, Cody citait deux faits qui pouvaient suggérer l’importance d’un tel phénomène. D’une part, il a avoué que si l’entente était parfaite entre chaque membre de l’équipe créative, chacun avait des visions opposés en matière de direction narrative du catch. D’autre part, contrairement aux promesses d’une présentation très réaliste voire sportive du catch de l’AEW annoncées par son président Tony Khan, Cody remarque qu’ils se sont tous accordés à suivre l’idéal du « buffet » – à savoir proposer un produit diversifié afin que toutes les attentes et goûts du public puissent être satisfaits.

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Si la diversité des opinions et philosophies peut toujours être bénéfique au sein d’une équipe créative, se contenter de proposer des talents, des styles et des personnages tous plus différents les uns que les autres sans une vision et une direction narratives soutenues n’amènera un show de catch qu’à ressembler à un cirque. Pour une promotion de catch basée uniquement sur la promesse de matches divertissants comme une Pro-Wrestling Guerrilla, rien à dire. Mais pour une compagnie aux moyens suffisants pour développer des personnages et raconter leurs histoires, cela risque d’être un problème – la preuve avec ce qu’il reste aujourd’hui des audiences TV de la WWE. Plus encore, promettre de faire la différence et se contenter d’user de références et de fan-service pour amuser la galerie n’aidera en rien la cause d’une All-Elite Wrestling se revendiquant comme étant l’alternative artistique recherchée par tous.

Si l’AEW et ses dirigeants ne parviennent pas à s’accorder sur le choix d’une vision cohérente, base sur laquelle ils pourront enfin créer leur propre culture plutôt que d’en référencer d’autres, je doute de la pertinence du lancement de son programme hebdomadaire en octobre prochain. L’absence de véritables scénaristes y est, peut-être, finalement pour quelque chose …


Pour compléter votre lecture, écoutez la critique (très) décomplexée du Catchacast sur ALL OUT, le dernier grand show de l’AEW avant ses débuts à la télévision :

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