Un New Beginning pour une New Era : Le choc sans surprise

Jay White est la nouvelle star de la NJPW.

Jay White, nouveau champion de la NJPW, était prévisible et justifiable mais est-il profitable ?

Chaque mois, L’Exception Catchesque vous propose « Monthly New-Japan » (en écho au célèbre magazine japonais spécialisé, Weekly Pro-Wrestling), une chronique portant un regard alternatif sur l’actualité de la New-Japan Pro-Wrestling.


Peut-on qualifier de « choc » ce dont on s’était préparé depuis des semaines, voire des mois ? A-t-on besoin de « choquer » pour surprendre ? Un changement surprenant, choquant, radical est-il toujours bon à prendre ?

En tant que fan de catch, et fan de la New-Japan Pro-Wrestling, on se voit obligé de se poser ses questions, consciemment ou non, suite au couronnement du nouveau champion poids-lourd IWGP. Âgé de seulement 26 ans, « officiellement » diplômé du NJPW Dojo il y a à peine un an et demi, ‘Switchblade’ Jay White a en effet vaincu Hiroshi Tanahashi hier à Osaka, lors du dernier arrêt de la tournée The New Beginning 2019. Il est seulement le sixième catcheur (et troisième non-nippon ou « gaijin ») à remporter pour la première fois ce titre en 10 ans. Preuve de l’importance d’un tel changement de titre – qui plus est seulement un mois après que Tanahashi l’ait repris des mains de Kenny Omega à Wrestle Kingdom 13.

D’un point de vue diégétique, ou « kayfabe » dans le jargon catchesque, tout penchait en faveur d’un tel événement. La New-Japan elle-même n’a cessé de promouvoir cette éventualité en attachant au match le slogan interrogatif « Switchblade Shock ». Une stratégie marketing faisant référence au littéral choc qu’avait engendré la victoire totalement inattendue du jeune Kazuchika Okada contre ce même Tanahashi, alors champion aussi, il y a sept ans jour pour jour encore à Osaka ¹.

De plus, toujours en terme de cohérence fictive, Jay White avait la jeunesse et une forme physique impeccable avec lui face au plus fragile (son historique de blessures est bien connu) et plus âgée (42 ans), Hiroshi Tanahashi. Mieux encore, il avait glané une belle série de victoires contre d’anciens champions du monde – toujours une manière claire et compréhensible de dire qu’un catcheur se rapproche légitimement d’un tel statut – dont plusieurs sur Tanahashi. Si en face-à-face, les statistiques profitaient jusque là à Tanahashi, le fait de l’avoir précédemment affronté trois fois justifiait la connaissance de Jay White des forces et des faiblesses de son adversaire. Donc, l’efficacité de sa « stratégie » sur le ring pour ce quatrième affrontement. Jay White avait l’avantage à tous les niveaux. Même la validation de son prédécesseur dans ce rôle, Okada, qu’il a battu en un temps record dans un match planifié un an auparavant au Tokyo Dome : « Jay White est le plus féroce des gaijins, plus que Chris Jericho et plus que Kenny Omega« .

Enfin, plus subtilement, le nouveau leader du Bullet Club avait le contexte politique national avec lui. En effet, en avril prochain, le Japon conclura l’ère Heisei avec l’abdication de l’empereur Akihito après un règne de 30 ans. Pour la plus grande partie de cette ère, la NJPW était au devant du catch japonais : pour ainsi dire, 1989 marque son premier show au Tokyo Dome. Il ne fait aucun doute que la tornade de soutien nostalgique qui a amené Tanahashi à remporter son premier G1 Climax Tournament en trois ans en 2018 puis son premier titre mondial en cinq ans était en partie dû à la nostalgie gagnant actuellement le peuple japonais à l’approche de ce changement d’ères. De même que la NJPW souhaite surfer sur la vague de nouveautés à venir avec la nouvelle ère, cette « New Era » dont se revendique Jay White et dont sa victoire contre Tanahashi, le vétéran et ancienne figure de proue de la compagnie, représente le lancement.

Un événement aussi charnière s’est-il avéré aussi parfait en réalité ?

Depuis le début de l'année 2019, Jay White a remplacé Kenny Omega dans le "Big Four" de la NJPW.
L’image d’accueil de la plateforme VOD NJPW World depuis le début de l’année 2019, avec les quatre top-stars ou « Big Four » de la compagnie.

Tout d’abord, le « choc » n’a pas été si surprenant que prévu. Encore une fois, les cerveaux créatifs de la New-Japan ont passé des mois à préparer le terrain puis des semaines à promouvoir la victoire possible, presque inévitable, de Jay White. La promesse marketing d’assister à un remake (et non un « Rainmake ») de la victoire surprise d’Okada en 2012 a été certes tenue mais le résultat n’en est pas pour autant similaire. Il suffit d’écouter la réaction du même public d’Osaka en 2012 ² et de faire la comparaison avec celle d’hier, pour Jay White. Le finisher dévastateur du ‘Rainmaker’ et son tombé réussi sur Tanahashi fait entrer les fans présents dans un état de choc euphorique, sincèrement surpris de la supériorité du premier sur le second, alors à son apogée. A l’inverse, le Blade Runner final et victorieux du ‘Switchblade’ inspire évidemment une réaction significative des spectateurs. Mais celle-ci s’essouffle presque instantanément en un silence presque gêné, seulement interrompu par des applaudissements timides mais respectueux quand White soulève sa nouvelle ceinture au-dessus de sa tête.

Si certains peuvent le percevoir comme un mauvais signe, surtout considérant les habitudes plutôt vocales des fans d’Osaka, je dirais pour ma part qu’une star ne se fait pas toujours en un jour et que le miracle inattendu d’Okada ne peut pas se reproduire par la simple volonté des acteurs impliqués. Par ailleurs, on ne peut reprocher à la New-Japan son désir renouvelé de mettre tout en œuvre, avec maîtrise et sans précipitation, de créer de nouvelles stars. Tout ce momentum accumulé par Jay White a été justifié, récompensé, légitimé par cette victoire finale sur Tanahashi. De plus, en ajoutant sa victoire imposante sur Okada à WK13, celle-ci continue de crédibiliser son statut de leader d’un Bullet Club reconstruit après la défection de nombreux membres d’importance (Omega, Cody Rhodes, les Young Bucks, etc).

Que signifie cette promotion de Jay White pour l’avenir de la compagnie ?

Avec ce premier triomphe, l’ancien « young lion » est officiellement promu à la place qu’occupait Kenny Omega dans ce que les fans et critiques nomment le « Big Four » – les quatre stars les plus importantes incarnant le catch proposé par la NJPW, ceux qui font vendre des billets, et les quatre personnages principaux de ses storylines, ceux dont les fans parlent et apprécient le plus. Est-il à la hauteur de son remplacement ? Kenny Omega avait participé à attirer un grand nombre de fans occidentaux à rejoindre la clientèle de la NJPW. En particulier, grâce à ces performances magistrales sur le ring notamment contre Okada, Tanahashi et Tetsuya Naito – les autres stars du « Big Four » actuel. Jay White n’a pas offert ne serait-ce ce qui se rapproche de telles performances face à ces mêmes catcheurs. Il n’a, jusque là, jamais offert de match capable de recevoir le score de 5/5 étoiles de la part du fameux journaliste et critique Dave Meltzer. Et tandis que Kenny Omega était nommé meilleur catcheur du monde, numéro un du classement annuel PWI 500 du célèbre magazine américain Pro-Wrestling Illustrated, White apparaissait à la position 44 de ce même classement. Il ne fait aucun doute que ‘Switchblade’ possède un talent excellent pour le catch, mais il est encore loin du niveau d’Omega dans l’opinion des spécialistes.

Enfin, arrivera-t-il à retranscrire ce « push » au niveau financier au Japon et en Occident ? Selon les premiers chiffres, son match contre Tanahashi et cette promesse de sa victoire à Osaka n’a pas interrompu l’augmentation constante du nombre de spectateurs payants assistant au show The New Beginning dans la même arène chaque année (5570 en 2019 contre 5481 en 2018, 5466 en 2017 et 5180 en 2016). Le fait est rassurant mais se renouvellera-t-il avec les prochains shows d’égale importance, maintenant que Jay White est le champion et attraction principale choisie par la compagnie ? La NJPW a la chance d’avoir la liberté de planifier à sa guise la carte de son prochain super-show, G1 Supercard en collaboration avec l’américaine Ring of Honor au mondialement célèbre Madison Square Garden de New-York City, sans se soucier des scénarios les plus profitables. La salle est déjà remplie, complète à l’avance. Elle pourrait programmer les matches qu’elle veut que les recettes resteraient les mêmes. Il lui suffit de faire une impression suffisamment bonne pour ne pas trahir ses fans et garder leur intérêt pour la suite.

Tel est le véritable défi auquel la New-Japan et son projet Jay White devra faire face. La New-Japan Cup, un tournoi pour déterminer le prochain challenger du nouveau champion, devrait nous aider à entrevoir leur manière de relever le défi. Kota Ibushi, positionné comme favori et un catcheur aux nombreux fans réclamant sa consécration à la NJPW depuis des années, saura-t-il valider le nouveau statut de Jay White et marquer l’histoire lors du premier Main-Event d’un show non-WWE au Madison Square Garden depuis une éternité ? La NJPW réveillera-t-elle l’engouement, toujours latent, envers Tetsuya Naito promettant ces dernières semaines d’unifier les titres Inter-Continental et poids-lourd ? Ce que j’avais prédit pour 2020 dans le premier opus de cette chronique se réalisera-t-il finalement un an plus tôt ?


1 : Le lien vers le match cité, Hiroshi Tanahshi (c) vs. Kazuchika Okada, du 12 février 2012 pour The New Beginning 2012 in Osaka.

2 : Pour écouter la dite réaction du public d’Osaka à l’issue de ce match, au lien ci-dessus, reportez-vous à 31:50.

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