New-Japan Cup ou le couronnement d’un perdant

Hiroshi Tanahashi, Kazuchika Okada, Kota Ibushi, Hirooki Goto à NJPW 47th Anniversary.

La New-Japan Cup 2019 est un événement historique pour la NJPW : elle déterminera le perdant de l’un des plus importants matches de son histoire à G1 Supercard.

Chaque mois, L’Exception Catchesque vous propose « Monthly New-Japan » (en écho au célèbre magazine japonais spécialisé, Weekly Pro-Wrestling), une chronique portant un regard alternatif sur l’actualité de la New-Japan Pro-Wrestling.


Aujourd’hui débute au Japon l’édition 2019 de la New-Japan Cup, le tournoi poids-lourd hivernal de la New-Japan Pro-Wrestling. Une compétition à simple élimination (à la Roland Garros pour les fans de tennis) organisée pour déterminer un challenger légitime à l’un des principaux titres de championnat de l’organisation nippone. Cette année, pour la première fois en 15 ans d’existence du tournoi, 32 catcheurs s’affrontent pour avoir le droit de partager l’affiche de G1 Supercard – événement historique au Madison Square Garden, le mois prochain, le premier non-promu par la WWE depuis des décennies – avec le nouveau champion poids-lourd IWGP, ‘Switchblade’ Jay White.

Néanmoins, malgré ce contexte exceptionnel, chacun sait d’ores et déjà que cette New-Japan Cup couronnera le perdant d’un des plus importants matches de l’histoire de la NJPW.

Mission : servir et protéger le projet Switchblade

Comme discuté dans le précédent opus de cette chronique, le jeune néo-zélandais Jay White est au cœur de tous les projets de la New-Japan. A l’aide d’un « booking » rapide mais intelligent, le nouveau leader du Bullet Club et nouveau champion majeur de la compagnie s’est transformé en visage occidental de la deuxième compagnie du catch mondial, remplaçant au pied levé un certain Kenny Omega. Cette reconstruction est toute neuve, ses effets sont donc difficilement discernables ou débattables pour le moment.

Si l’on en croit les premiers chiffres, la NJPW chouchoute et protège son nouveau projet : le show spécial 47ème anniversaire de la compagnie aurait rempli les 4.000 sièges de l’Ota-Ward Gymnasium à Tokyo, contre 3.864 l’an dernier. Pour aider l’attraction principale, un combat champion contre champion opposant Jay White au spectaculaire Will Ospreay, la New-Japan avait rajouté un match de championnat Junior pour Jushin ‘Thunder’ Liger, le premier en trois ans, une légende internationale sur le chemin de la retraite – un événement donc à ne pas rater pour les fans japonais. Le projet Switchblade n’aura ensuite aucun soucis à se faire économiquement. G1 Supercard étant déjà complet à l’avance, il est protégé de ce point de vue. Ce que la New-Japan doit néanmoins garantir pour s’assurer encore le soutien et la loyauté des fans envers ce projet, c’est de créer la sensation, d’écrire l’histoire et surtout de consolider le statut du jeune Jay White en tant que véritable figure d’importance, crédible et légitime, aux côtés des autres stars déjà confirmées du « Big Four » – Hiroshi Tanahashi, Kazuchika Okada et Tetsuya Naito.

Pour y arriver, il lui faut donc trouver le plus grand et robuste arbre à abattre, le parfait agneau sacrificiel à servir au dévoreur d’attention qu’est le projet Switchblade.

La stratégie de l’agneau sacrificiel

Tanahashi, Okada et Naito sont les grands favoris de la New-Japan Cup aux côtés de Kota Ibushi.

Dans un précédent article expliquant le fonctionnement narratif du tournoi, je revenais  surtout sur son efficacité dans la création d’intrigues fortes et de protagonistes crédibles. L’objectif est souvent de donner assez de crédibilité et de légitimité à un personnage pour en faire un grand antagoniste ou protagoniste. La tactique que semble employer par la NJPW ici respecte ces principes mais les détourne au profit du projet Switchblade. Le but de cette New-Japan Cup est nullement de créer une star ou de mettre un personnage de seconde zone au niveau des stars principales (comme avec Zack Sabre Jr. l’an dernier) mais de couronner le meilleur perdant possible. Autrement dit, celui qui – en termes diégétiques ou « kayfabe » – canalisera tous les espoirs de voir l’arrogant et cruel Jay White déchoir de son nouveau piédestal et celui qui – en réalité, pour le bien de la solidité narrative du champion – lui donnera le meilleur match possible pour faire taire ses dernières critiques et la victoire la plus retentissante et incontestable possible.

Pour le trouver, la NJPW a établi trois grands scénarios dans lesquels piocher. D’abord, il y a deux storylines de revanche. La première concerne Hiroshi Tanahashi, déchu de son trône à peine retrouvé. L’idée de Tanahashi, la top-star historique de la New-Japan, tentant une nouvelle fois de revenir au sommet face à la nouvelle figure de proue choisie par la compagnie, qui plus est dans une belle (Tanahashi et White ayant chacun deux victoires l’un contre l’autre), le tout dans le contexte si spécial du G1 Supercard est forcément intriguant. Cependant, la NJPW n’a pas pour habitude de programmer des revanches aussi rapidement, surtout pour le titre poids-lourd IWGP au prestige millimétré.

En deuxième choix, nous avons donc la revanche de Kazuchika Okada. Son clan (CHAOS) a été ruiné par la traîtrise de Jay White, qui l’a ensuite battu en un temps record devant 40.000 personnes au Tokyo Dome et l’a même forcé à pactiser avec son ancienne némésis, Tanahashi. Sa vengeance attendue pour Wrestle Kingdom 13 reste encore à reporter. De plus, Okada a toujours été un favori des fans occidentales comme japonais : le voir tenter de détrôner Jay White au Madison Square Garden, même en échouant, est un scénario alléchant. Pourtant, là aussi, si on considère le « booking » de la NJPW dans son ensemble, il y a un hic. La position principale du personnage d’Okada n’a pas été protégé pendant des années pour faillir deux fois de suite contre un jeune loup, même très talentueux et prometteur, comme Jay White. Faire d’Okada un perdant serait dommageable pour son statut de protagoniste.

Kota Ibushi : perdant sur le court-terme, gagnant sur le long-terme ?

Kota Ibushi, champion IWGP de la NJPW en 2020 ?

La New-Japan a ainsi mis en place une dernière option. Après sa défaite retentissante et la perte de sa ceinture contre Will Ospreay à WK13, puis à la suite du départ de son partenaire Kenny Omega, Kota Ibushi se retrouvait perdu dans les limbes de la NJPW. Fort heureusement, la signature d’un contrat pluri-annuel a renforcé la confiance des exécutifs en son potentiel de star. Dès le départ, Ibushi s’est alors positionné comme le prochain gagnant de la New-Japan Cup. Il a été le premier à annoncer sa participation au tournoi. Kota Ibushi est un chouchou des fans japonais et un catcheur autant respecté qu’apprécié du public occidental. Ses compétences artistiques sur le ring sont reconnues de tous. Et sa quête incessante, toujours sans succès, des sommets de la New-Japan est presque inscrite dans le patrimoine génétique de son personnage. L’idée d’un Ibushi victorieux de la plus grande New-Japan Cup jamais organisée et propulsée dans le Main-Event du premier show non-WWE au MSG depuis des lustres dans un match pour le championnat poids-lourd IWGP réunit tous les ingrédients nécessaires à la fabrication du parfait agneau sacrificiel.

En l’offrant en pâture au projet Switchblade, la NJPW se garantit deux choses. D’une part, une grande et belle victoire pour son jeune champion à la fois crédibilisé narrativement et légitimé artistiquement (car contre Ibushi, il est difficile d’avoir une mauvaise performance). D’autre part, la création incidentelle d’une nouvelle intrigue majeure sur le long-terme : celle de la route vers la rédemption pour Kota Ibushi et, au mieux, vers le plus haut sommet de la NJPW. Permettez-moi donc de dérouler un petit plan prospectif de « fantasy booking« .

Avant de remporter la New-Japan Cup puis de perdre contre Jay White, Ibushi aura dû battre, notamment, Tetsuya Naito, l’actuel champion Inter-Continental IWGP. En conséquence, Ibushi aura obtenu le droit de défier ce dernier dans un revanche, cette fois avec le dit titre en jeu (par exemple, au prochain Wrestling Dontaku ou DOMINION). Le leader de Los Ingobernables de Japon, en pleine campagne pour devenir un double-champion, est resté trop longtemps au second plan dernièrement pour perdre deux fois d’affilée et concéder son statut actuel. Une nouvelle défaite de cette ampleur enrichira d’autant plus la nouvelle narration d’échecs dommages d’Ibushi – en vérité, la même qui le caractérise depuis des années à la New-Japan.

Kazuchika Okada et Kota Ibushi sur le ring de la DDT.

L’enjeu afin de maintenir sa promesse de garantir son avenir et la fin de sa carrière à la NJPW sera alors de gagner le tournoi estival poids-lourd, G1 Climax 29. Cette épreuve sera de taille – surtout pour un catcheur ayant déjà été élu vainqueur de la New-Japan Cup. Okada voudra à tout prix atteindre le toujours champion, Jay White, pour exercer sa vengeance. Naito aura toujours en tête d’unifier les titres poids-lourd et Inter-Continental. Quant à White lui-même, il ne se laissera bien sûr pas faire. Une possibilité qui pourrait ravir le tout serait la suivante :

  • En premier lieu, Kazuchika Okada réussit à battre Jay White durant le tournoi. Ceci, selon les lois tacites « kayfabe » de la NJPW, octroiera à Okada une chance à son titre de champion post-G1 Climax.
  • Okada détrône finalement Jay White. En conséquence, c’est Okada qu’Ibushi aura à affronter pour essayer encore une fois de devenir champion poids-lourd à WK14 (peut-être même en revanche de la finale du G1 Climax 29 ?).
  • Encore mieux, Naito aura peut-être négocié pour organiser un match d’unification le second soir de ce double WK14 exceptionnel. Le nouvel grand « babyface » incontesté de la New-Japan sera ainsi couronné.

Mais après, qui sait ? Peut-être que Tomohiro Ishii gagnera cette New-Japan Cup et deviendra champion au Madison Square Garden !

 

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