Cody Rhodes n’est pas un héros

Il est riche. Il est puissant. Il est bien entouré. Cody Rhodes n’est pas Batman. Il est Bruce Wayne.

Cody Rhodes est un « heel » inconscient de sa véritable nature. Cette constatation est vraie depuis le premier show de l’All-Elite Wrestling. Je ne parle pas du premier épisode de Dynamite ou même de Double or Nothing mais d’ALL IN. Ce fameux 1er septembre 2018, il devient champion du monde poids-lourd de la NWA, venant à bout de Nick Aldis, qui a depuis repris son titre et règne en maître sur NWA Powerrr. Cody n’a pas mérité cette chance au titre. Cody n’a pas trimé pour conquérir ce championnat. Ce règne éphémère, il l’a dû à son influence, à son statut et à son passif. Pourtant, le moment est fort, peut-être le plus fort de la soirée et peut-être le plus émouvant de la carrière de Rhodes jusqu’à ce point.

Cette émotion sincère, Cody la doit et la génère avec son passif. Derrière ce dernier se cache un parcours que la majorité des fans ont suivi et ont soutenu. Courageux, Cody décide de quitter la seule compagnie qu’il a jamais connu pour partir à l’aventure sur la scène indépendante et retrouver une identité ou, plutôt, pour s’en construire une. Celui qui a enchaîné les gimmicks plus absurdes et bancales les unes que les autres doit ré-apprendre à marcher, doit faire ses preuves à nouveau. Non seulement y est-il parvenu avec une transparence inédite envers ses fans mais il a réussi à transformer l’essai et à transcender son statut. Il a relevé le défi de sortir le catch indépendant américain de ses tranchées et de créer une « alternative » que les fans pouvaient enfin soutenir à 100% (ou presque). Il incarne l’illustration même de la figure du « rise & fall » si prolifique et prisée au cinéma américain. Il est Le Loup de Wall-Street, il est Citizen Kane. Qui n’a jamais rêvé d’une grande destinée, semée d’embûches ? Et, à défaut, qui n’a jamais rêvé de suivre celle d’une autre personne, jour après jour, à portée de main (virtuelle ou réelle) ?

Un héritage identifiant et émouvant

Son passif, c’est aussi et surtout, bien sûr, le poids de son héritage familial. Cody Rhodes ou Cody Runnels est le fils cadet d’une légende du catch, aux très multiples contributions et influences, Virgil Runnels alias Dusty Rhodes. Lorsque Cody quitte la WWE en 2016, le récent décès de son père est encore dans tous les esprits. Lorsqu’il embarque pour un ailleurs plus complément, il porte cet héritage dans ses bagages – qu’il a depuis matérialisé sous la forme d’un tatouage « Dream » sur son cœur. Cody ne s’en cache pas (l’extraversion naturelle américaine, semble-t-il) : il progresse dans l’ombre de son père, son ange-gardien, son guide. Il revisite même nombre de ses succès et de ses créations et rencontre ses contemporains comme dans un pèlerinage. Le choix du titre NWA n’est pas anodin : c’est celui que son père a ardemment porté par le passé. Cody le remportant pour la première fois forme ainsi une transposition : comme si c’était finalement Dusty qui l’avait remporté à nouveau, dans un dernier geste avant de quitter le monde du catch.

Ainsi, quand les fans pensent à Cody, ils pensent toujours, même inconsciemment, à Dusty Rhodes. Idem lorsque Cody affronte son frère, Dustin, à Double or Northing, dans un combat longtemps promis et longtemps reporté par leur ancien employeur. S’il incarne donc la défiance fondatrice de l’AEW face à la castratrice WWE, il repose encore sur le fantôme de Dusty Rhodes. Car c’est dans le sang et le catch à l’ancienne privilégié par leur père que les frères se réunissent finalement après leur match et s’embrasse dans le geste le plus sincère et le plus émouvant, peut-être, de l’histoire du catch. Involontairement ou non, la scène ressemble presque trait pour trait, mot pour mot, à un souvenir passé. Celui où Dusty Rhodes demandait à son fils ainé Dustin de s’allier avec lui sur le ring, par amour.

Par son invitation sincère dans les tumultes et les embrassades de tristesse et de bonheur retrouvée, Cody nous inclut presque dans sa famille. Le fan, le spectateur, s’identifie à sa souffrance et à sa joie, parce qu’elle se base non seulement sur un terrain de réalité reconnu mais sur un terreau universel d’émotions, de sentiments et de situations humaines.

Pour cela, Cody Rhodes est chaque fois accueilli comme un héros légendaire, un prophète en son pays, un messie. Pourtant, en réalité, délesté de ce passif si facilement identifiable, Cody Rhodes n’est rien de tout cela. Pour reprendre la comparaison cinématographique et pour rejoindre les propres inspirations culturelles de Cody, il n’a rien d’un Batman ou d’un Iron Man. Il n’est pas un héros, capable, valeureux, généreux, travailleur et méritant. Il n’est que superficialité. Il est Bruce Wayne, il est Tony Stark, il est l’enflure qui sert de diversion, d’identité secrète ou d’alibi à la véritable figure héroïque sui se cache sous le masque. Seulement, dans le cas de Cody, ce versant de sa personnalité – fictive, du moins – n’est pas le masque.

Superficiel, égoïste, mégalomane et privilégié

Pour commencer, Cody est riche et ça se voit : il porte des costumes au prix plus élevé que la majorité des salaires des fans qui l’acclament. Pas facile de s’identifier à un tel « champion du peuple » quand il n’en fait assurément pas partie. De plus, il n’hésite pas à étaler sa richesse ou se servir de sa richesse pour prendre des décisions. Non seulement il est riche mais il est l’héritier d’une famille légendaire. Il est donc riche dans le statut qu’il occupe dans le milieu dans lequel il évolue. Et, comme évoqué à l’instant, il se sert de cette richesse : pour obtenir un match de championnat ou un combat contre son pire ennemi. Quand celui qu’il pensait être son protégé et son ami le trahit, il essaie d’abord de lui offrir de l’argent, de l’acheter, pour obtenir de lui ce qu’il veut : vengeance. Cody ne tente même pas d’avoir des explications de la part de MJF ou de comprendre ce qui a bien pu le pousser à tant de violence à son égard.

Ensuite, Cody profite d’un entourage aux petits soins pour lui – chose qu’il ne rend pas pour autant réciproque. En effet, quand Sammy Guevara, son adversaire lors du premier épisode de Dynamite se heurte violemment à sa femme, à la vie comme à la scène, Brandi Rhodes, Cody ne prend pas une seconde de son temps pour aller s’inquiéter de son état. Même chose lorsqu’il essaie de débarquer avec son fidèle compagnon canin, Pharaoh, et qu’il ne pense pas que de la pyrotechnie le terroriserait. Un égoïsme passif mais un égoïsme toujours. Toujours concernant son entourage, Cody a des amis et des mentors – c’est mérité pour une personne aimable. Cependant, le contraste est effarant lorsqu’il fait face à MJF et son seul garde-du-corps tandis qu’il s’accompagne d’une demi-douzaine de protecteurs. Si le duel entre les deux est personnel et le combat « d’homme à homme », pourquoi a-t-il tant besoin de rester attaché à sa « famille » ? Les problèmes ne méritent pas d’être affrontés seul mais parfois il vaut mieux couper le cordon.

D’autre part, Cody est un véritable privilégié. Il est le seul catcheur du roster de l’All-Elite Wrestling a profité d’une mise en scène pour son entrée sur le ring. Même au sein des autres « Executive Vice-Presidents » (ou catcheurs-organisateurs) de la compagnie, il est le seul à profiter de cette présentation luxueuse. Sans s’en rendre compte, il se place ostensiblement comme la seule et unique star native de l’AEW. Une attention toute particulière lui est portée à lui, et lui seul. Ainsi, non seulement il est superficiel et égoïste mais il est aussi mégalomane. Son influence est aussi palpable dans des décisions qu’il prend seul, comme de commander une tenue façon « Star Trek » pour tout son entourage en amont d’un combat haineux. Si ce dernier était vraiment si important aux yeux de son personnage, celui-ci n’aurait que faire de penser à ce qu’il allait porter et à quelle référence il ferait allusion avant d’entrer en scène. Ce n’est que parce qu’il peut se le permettre dans la réalité qu’il peut se permettre de ne pas le prendre au sérieux et traiter la situation telle qu’elle devrait être. Et ne parlons pas de son nouveau tatouage, dont le choix aux attraits « marketing » se place à l’opposé de la sincérité dont Cody est capable de faire preuve (et qui pourrait presque se matérialiser avec son autre tatouage, cité plus haut)…

Cody a-t-il besoin de prendre du recul ?

L’objectif de cette analyse n’est bien évidemment pas de vous faire haïr Cody Rhodes, le catcheur-personnage, et encore moins, l’être humain. Moi-même, je l’admire et je l’apprécie car je m’identifie très personnellement à lui dans son histoire familiale. Cette analyse permet juste de constater que les apparences sont parfois trompeuses et les raccourcis faciles. L’amour, même pour un catcheur, rend aveugle et élude inconsciemment certaines réalités pourtant apparentes. C’est d’ailleurs sans doute ce qu’il se passe pour Cody lui-même. Comme lorsqu’il a tenu à traîner son chien sur scène sans penser que la pyrotechnie le terrifierait. Il ne pense que positif et glorifie tout, sans se rendre compte que certains aspects de ses performances et de sa personnalité à l’écran transmettent le contraire de ce qu’il est censé et veut exprimer ou incarner.

Ce recul nécessaire pour s’en rendre compte, encore une fois, ne peut être obtenu que par un avis extérieur, véritable et professionnel – comme celui d’un scénariste ou d’un expert-conseiller sans aucun lien avec son cercle familial ou ses proches. Malheureusement, à moins que Tony Khan (son patron) ne se rende compte lui-même, j’ai bien peur qu’un jour le retour de bâton soit féroce … ou bien, espérons-le, qu’il puisse se transformer en un magnifique « heel-turn ». A l’inverse, Hangman Page, à la popularité grandissante, incarne véritablement la figure du héros humain qui réagit aux obstacles avec autant de persévérance que de désespérance (sous la forme de son alcoolisme fictif) et capable d’affronter ses problèmes seuls mais qui apprend, néanmoins, à s’épauler pour les résoudre.

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