Les fantômes d’ALL IN

Avec son propre ALL IN à Londres, l’AEW s’apprête à récrire l’histoire mais aussi à ranimer ces fantômes…

Pari accepté, Dave

Le dimanche 27 août, l’All-Elite Wrestling de Tony Khan présentera son propre ALL IN dans le gigantesque Wembley Stadium de Londres. Plus de 60 000 billets ont déjà été vendus près de quatre mois avant l’événement, surpassant de loin n’importe quel show non-produit par la WWE (dont l’attractivité ne soit pas imposée par un régime totalitaire). De ce fait, l’événement s’annonce d’ores et déjà historique à de multiples mesures : un nouveau record dans l’histoire du catch (qui s’apprête à dépasser celui établi spécifiquement à Wembley pour un show de catch, 31 ans après SummerSlam 1992), un nouveau record économique pour l’AEW pour son premier show outre-Atlantique et un premier ALL IN depuis l’édition précurseure de 2018.

Parce que le nom de ce rendez-vous n’a rien d’anodin. En le choisissant, Tony Khan a invoqué l’esprit d’un pari historique : celui que Cody Rhodes, Matt et Nick Jackson (bien aidés du reste des membres de The Elite par le biais de Being The Elite mais aussi de la Ring of Honor, qui en possédait les droits, jusqu’à ce que Tony Khan lui mette le grappin dessus) ont su relevés cinq ans auparavant et qui a été l’étincelle à l’origine de l’AEW. Tony Khan a joué la carte de la symétrie historique et de la surenchère symbolique pour faire de cet événement plus qu’une simple (mais non moins, tant attendue) « première fois » au Royaume-Uni. Prononcer ces mots – ALL IN – c’est provoquer l’histoire elle-même.

Et pourtant. Titiller le cosmos et en appeler à l’Histoire, avec un grand H, pour modeler le meilleur des futurs possibles ne passe pas sans réveiller les fantômes du passé. Si rien n’est encore prévu ou signé et que le monde (aussi bien du catch et que du reste) peut se retourner sur lui-même d’ici le dernier dimanche d’août, l’histoire qu’écrira ce nouvel ALL IN se fera en l’absence plus ou moins notable de diverses figures.

Le père (co)fondateur

Cody Rhodes a déjà « accompli son destin » … En 2018, lors d’ALL IN premier du nom.

En premier lieu, il s’agit évidemment de Cody Rhodes. Ce sont bien les frasques des Young Bucks et leur attache japonaise avec Kenny Omega qui ont nourries le terreau duquel le premier ALL IN a germé. Mais c’est « The American Nightmare » qui en a été le principal moteur. C’est lui qui a relevé le défi en réponse au pessimisme du célèbre journaliste Dave Meltzer. C’est lui qui a été à la manœuvre pour en faire la promotion. C’est sa motivation émotionnelle, autant narrative que personnelle, à marcher dans les traces de son père, Dusty Rhodes, en concourant pour le championnat du monde poids-lourd de la NWA qui était au centre de l’attention.

Sans Cody Rhodes, l’ALL IN d’origine n’existerait pas. Et sans ALL IN, c’est l’AEW (en tout cas dans la forme que Tony Khan, Cody, Kenny Omega et les Bucks lui ont donné) qui n’existerait pas. Et pourtant. Cody Rhodes ne sera pas là (à moins d’une petite visite privée, en cachette) pour boucler la boucle et participer à ce nouvel ALL IN. Deux mois avant, il sera cependant bien à Londres mais pour jouer la vedette d’un autre show, d’une autre compagnie, celle qu’il avait quitté, amer, avant d’embarquer en toute indépendance dans un parcours qui le mènera à défier l’histoire du catch et à déjouer l’hégémonie de cette même compagnie qui aujourd’hui l’emploie. L’AEW, cette aventure qu’il a porté à bras le corps avant qu’elle ne se retourne contre lui, va une fois encore déjouer cette hégémonie … sans lui.

Les parapluies de Wembley

Suite à #SpeakingOut, les frères Jackson ont supprimé toutes traces de Marty Scurll (au centre) sur leur chaîne Being The Elite.

Mais l’ALL IN londonien rappelle d’autres fantômes beaucoup moins reluisants : Tessa Blanchard, la star féminine du show initial qui a coupé bien trop de ponts pour obtenir aujourd’hui la confiance de n’importe quel promoteur (et dont le papa, qu’elle évite, a fait partie un temps de l’AEW) ; Joey Ryan, la surprise comique du premier ALL IN dont la carrière s’est interrompue depuis des accusations d’abus sexuels formulés durant le mouvement #SpeakingOut en 2020 ; ou encore Marty Scurll. Lui aussi a été épinglé par un témoignage estampillé #SpeakingOut (l’accusant d’avoir eu une relation non-consentie avec une mineure) et s’est vu depuis être blacklisté du monde du catch.

Cependant, « The Villain » n’est pas n’importe quel fantôme. Il était à l’affiche du show contre Kazuchika Okada (dans sa phase ballons et « Scooby-Doo ») en tant que membre éminent de The Elite, le club fermé de pères fondateurs de Being The Elite, d’ALL IN et de l’AEW. Avant que son nom soit oublié, il était même pressenti pour incarner le rôle de « l’Exalté » : celui du leader charismatique du Dark Order, qui ira finalement à M. Brodie Lee.

Son absence (aussi certaine que justifiée, pour le coup) du nouvel ALL IN sera d’autant plus notable qu’il était le seul Britannique du club – et l’une des principales stars du nouveau boom du catch indépendant local du milieu des années 2010. Sans la controverse dont il a été la cible (encore une fois, à juste titre), il est plus que probable qu’il occuperait un rôle-clé dans la promotion de l’événement envers les Britanniques et une place de choix à la carte du Wembley Stadium. Et il aurait vendu des tonnes de parapluie !

L’arlésienne de l’AEW

Dax Harwood (à gauche) milite depuis des mois pour un combat avec FTR et CM Punk contre The Elite, pour ALL IN.

Il n’est pas le seul Anglais qui manquera à l’appel. Si Jamie Hayter, Saraya, PAC, Nigel McGuinness (peut-être même pour retenter sa chance entre les cordes ?), Kip Sabian, (très certainement) Will Ospreay ou encore Anthony Ogogo (qui ?) devraient sans doute être de la partie pour représenter leur Île, l’un de leurs plus respectés compatriotes – William Regal – n’en sera finalement pas. Mais il demeure un fantôme qui, s’il n’y représentera ni son pays ni qui que ce soit d’autre que lui-même, pourrait bien être là : CM Punk.

Depuis sa « gripebomb » dont la détonation à déclencher « Brawl Out » (autant de surnoms pour désigner l’abcès percé verbalement à la conférence de presse post-ALL OUT 2022, et ses conséquences), il joue au chat de Schrödinger avec Tony Khan. Pendant des mois, personne ne savait s’il ferait encore longtemps partie de l’AEW ou s’il allait même encore catcher un jour. Plus récemment, ce bon vieux Phil Brooks fait mine d’accepter d’arranger les choses en interne, tout en continuant d’attiser les braises de la haine envers ses collègues. L’objectif ? Retourner le silence (imposé) de Kenny Omega et des Young Bucks contre eux, pour les éloigner encore un peu plus de leur propre compagnie, tandis qu’il s’apprêterait à revenir en grande pompe à la tête d’une émission lancée spécialement pour lui (intitulée, ironie du sort puisqu’elle ne remplira peut-être jamais sa promesse, AEW Collision).

D’après les mots rapportés par Dave Meltzer et consorts, le retour du « Second-City Saint » devrait advenir le samedi 17 juin à Chicago (là où presque deux ans auparavant, il avait un autre retour historique dans de bien meilleures auspices). Si tel est le cas, et compte-tenu de son statut avéré de méga-star, il y a une forte chance que Tony Khan souhaite l’ajouter à l’affiche de son plus grand objet promotionnel à ce jour. D’autant que, s’il fallait encore le rappeler, CM Punk n’est pas n’importe quelle méga-star. Il est celle qui, jadis, a incarné ce même esprit contre-culturel et contre-hégémonique dont se réclamaient le premier ALL IN et l’AEW à sa naissance. Organiser le plus grand événement non-WWE sans CM Punk, alors même qu’il est censé être à sa disposition, semble inconcevable. D’autant que cet ALL IN est pensé, à l’instar du premier, comme un projet fédérateur pour l’AEW, son vestiaire et ses fans. De quoi redonner un élan positif à cette marque délestée de son état de grâce depuis le départ de Cody Rhodes et, plus encore, depuis l’après-ALL OUT 2022.

Néanmoins, à ce stade (c’est le cas de le dire), rien n’est sûr. D’une part, le lancement de Collision et le retour de CM Punk n’ont toujours pas été officiellement confirmés. Et compte-tenu de l’humeur volatile de l’oiseau, un revirement n’est jamais à exclure. D’autre part, si Kenny Omega et les Young Bucks doivent être de la partie à ALL IN, il se peut qu’ils n’acceptent pas la présence de leur impétueux collègue (d’autant que Wembley n’a plus exactement besoin de lui pour se remplir). Après tout, pour que les souris dansent, il faut que le chat s’absente… La participation in-ring de CM Punk pourrait donc être reléguée au show ALL OUT 2023, prévu une semaine plus tard à Chicago, qui, lui, aura bien besoin d’un argument de vente pour ne pas trop pâlir devant le poids historique du gala londonien. Ainsi, seuls les développements à venir dans les prochaines semaines nous dirons si la présence de Punk à Wembley restera ou non fantomatique.

Quoi qu’il en soit, bien qu’ils nous hantent, les fantômes ne doivent pas nous empêcher d’avancer. Après tout, le présent n’appartient qu’aux vivants. Rendez-vous à Londres !

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